INTENTION
L’envie de raconter la rencontre du monde gitan et du monde rural, le rejet de l’un par l’autre, les difficultés du milieu forain, mais aussi l’Histoire des gitans, les épisodes méconnus de leur déportation durant la Seconde Guerre Mondiale… Tout cela sur fond de musique, dans un décor typé, agrémenté de quelques numéros dont le célèbre lancer de couteaux…
La Vieille qui lançait des couteaux c’est un peu de tout ça à la fois, et bien plus encore…
Par Martin Petitguyot (auteur, metteur en scène et comédien)
Une image de gosse comme on en a tous, une image furtive, éphémère, mais qui reste, qui est gravée, qui contient tout ce qu’on aime et ce qu’on projette, ce qu’on rêve, ce qu’on ressent.
J’ai huit ou neuf ans, je marche sur le chemin de la prairie, aux abords d’un village jurassien. Ici mes ancêtres maternels et paternels ont planté leurs bêches et traînés leurs chevaux, leurs vaches. C’est l’automne ou le printemps, je sais plus, en tout cas c’est une saison brumeuse, humide et fraîche. J’ai des bottes en plastique, un bâton à la main. Devant moi, six ou sept vaches plutôt maigres dans mon souvenir et devant les vaches la vieille Hélène, la voisine. On mène les bêtes aux champs, des vaches tranquilles, le bâton ne sert pas à grand-chose, les vaches connaissent le chemin par cœur. Cet endroit me plait, le chemin part vers la prairie, bordée de bois et fissurée d’une rivière qui, à l’époque et pour mes yeux d’enfant, est infinie.
On avance sur un kilomètre, puis on traverse la rivière, sur le « Pont du Gué », pont en ferraille des débuts du siècle, qui enjambe un ancien gué. A côté de ce dernier, le long de la rivière, de vieilles roulottes, comme j’en ai déjà vues en photo ou peinture ou dessin et quelques chevaux, mais aussi une ou deux caravanes modernes et une ou deux voitures. L’image d’Epinal et réelle des gens du voyage. Peut-être la première fois que je vois le temps en mouvement. Je sens que rien n’est immuable.
Sur le côté, des champs, où mes ancêtres ont travaillé, trimé, marché, rêvé, chanté, pleuré aussi sans doute. La famille de mon père n’a plus de champs. Je sais que mon père, enfant pauvre, venait ici, menait les bêtes, comme je le fais aujourd’hui, comme le faisait son père et son grand-père et ainsi depuis 1600.
Les roulottes qui appartiennent à un autre temps côtoient des caravanes modernes ; elles aussi appartiendront bientôt au passé.
Les vaches suivent Hélène, la baguette tenue par ses deux mains dans le bas de son dos. Les vaches suivent et ne dépassent pas.
Je traîne un peu derrière.
Une femme est dehors, au bord d’un feu qu’on vient d’allumer. Il est tôt, sept heures ou à peine plus, une roulotte fume et la femme semble être la première debout. Devant Hélène est passée sans même jeter un œil. Je donne un bonjour naïf et joyeux à la femme, qui me le rend, découvrant un sourire très blanc, tacheté de quelques trous. J’aurais envie de m’arrêter, laisser les vaches continuer derrière la vieille Hélène au visage si dur. Je ne le sais pas encore précisément mais je sens qu’un monde nous sépare ; qu’on ne s’arrête pas comme ça à un campement. Je rejoins les vaches d’un pas mou, Hélène ne s’est même pas retournée. La femme me regarde partir comme si elle voyait mon hésitation. Quand je suis un peu éloigné, je me retourne, la femme me regarde toujours et je sens une grande bienveillance, quelque chose de maternel. Je tends la main en signe d’aurevoir, elle fait de même.
Quelques secondes… et ma vie…
Depuis j’en ai suivi des routes et des chemins. J’ai posé ma caravane et mon camion dans des centaines d’endroits, comme celui-ci, au bord de la rivière, près du « Pont du Gué », au milieu de la prairie. J’en ai vu des campements, en France ou ailleurs, j’en ai visités, pénétrés. J’en ai rencontrés aussi plusieurs fois, des manouches, me sentant très près d’eux et en même temps toujours conscient de ne pas en être et ne le souhaitant pas vraiment.
J’ai quinze ans, c’est l’été, je travaille dans une ferme isolée du Châtillonnais. Le fermier, un ami de la famille, est devenu un grand frère pour moi. Il me demande si je veux rester là et travailler avec lui. Quelques heures après je marche sur le chemin de sa ferme isolée, chemin qui conduit à la route et traverse une petite rivière. Je me dis que je pourrais poser une caravane ici et vivre là au bord de la rivière. Je fais du théâtre depuis deux ans déjà et ça me plait beaucoup. Je regarde la ferme, la route et je sais ; je sais que je ne pourrai pas rester là ; je sais qu’un jour je voudrai partir ; l’idée de m’arrêter ici me créera trop de douleur, je le sens déjà. Renoncer à travailler la terre et toucher les bêtes, renoncer à me poser, sera aussi douloureux, je le sais aussi.
Trente ans ont passé depuis ce jour au bord de la rivière et autour tout à changé. D’un côté le monde paysan qui ne connaît plus ce sens et cette tranquillité rurale. Dans ma famille je suis la première génération qui renonce à sa terre et nos descendants porteront longtemps en eux ce déracinement. Les campements des gens du voyage ont changé eux aussi ; ils ont quitté les petits bois isolés, les prairies, pour rejoindre les bords de nationale, d’autoroutes. Leur fondamentale liberté n’est plus que relative ; le sens même de l’errance est menacé, suspect.
Deux mondes qui n’ont jamais eu de bons rapports, ou très rarement, et se sont pourtant côtoyés. Deux mondes si différents. Deux mondes qui se haïssent, inrapprochables. D’un côté le monde des « travaillez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins » et de l’autre le monde des « la terre ne t’appartient pas, ni à toi ni à personne, tu ne fais que la traverser, comme la vie, comme le temps ». Deux mondes qui ont tellement changé, jusqu’à presque disparaître, l’un et l’autre. Des siècles dans l’ignorance l’un de l’autre, souvent à côté l’un de l’autre. Trente ans de déséquilibre pour moi, à hésiter entre racines et errance.
Quelques mots
Quelques notes de musique
Quelques images
Le temps d’un spectacle
Une histoire à raconter
Avec un feu
Avec le ciel… et les étoiles…
Affiche A3
COPRODUCTIONS
Les Ateliers Frappaz
Centre métropolitain des arts urbains, Villeurbanne
Le Parapluie
Centre International de création artistique, Aurillac
L’Abattoir
Centre national des arts de la rue, Chalon sur Saône
Le Fourneau
Centre national des arts de la rue en Bretagne, Brest
La Vache qui Rue
Lieu de fabrique des arts de la rue, Moirans en Montagne
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